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LONDRES — Liz Truss a fait adopter une aide de 1,15 milliard de dollars, financée par le contribuable britannique, pour un projet gazier au Mozambique qui fait aujourd’hui l’objet d’allégations d’enlèvements, de meurtres et de viols.
Les efforts de Truss pour soutenir le projet en tant que ministre du Commerce au printemps 2020 avaient reçu l’opposition du Premier ministre de l’époque, Boris Johnson, et de bon nombre de ses collègues du gouvernement conservateur.
Le nouveau gouvernement travailliste étudie actuellement la possibilité de continuer à offrir des prêts directs et des garanties, financés par le contribuable, aux exportateurs et aux banques britanniques qui soutiennent le projet de gaz naturel liquéfié de 20 milliards de dollars de TotalEnergies dans le nord du Mozambique.
Le mois dernier, POLITICO a révélé qu’une unité militaire mozambicaine, opérant à partir de la guérite de TotalEnergies sur le site gazier de Cabo Delgado, avait massacré au moins 97 civils.
La sécurité de la région se détériore depuis au moins 2019, lorsque des militants, affiliés à l’Etat islamique et se faisant appeler Al-Chabab, ont chassé de la région des mercenaires du groupe Wagner liés au Kremlin.
En juin 2020, lorsque Truss et ses collègues ministres ont pris leur décision, “il était clair pour tout observateur raisonnablement bien informé […] que le conflit s’intensifiait et que l’exploitation des réserves de gaz en était l’un des principaux moteurs”, estime Wolf-Christian Paes, senior fellow spécialisé sur les conflits armés à l’International Institute for Strategic Studies (IISS).
Mais une source auparavant haut placée au sein du ministère britannique du Commerce, à qui nous avons accordé l’anonymat pour qu’elle puisse s’exprimer en toute franchise, se souvient, qu’alors que le gouvernement s’inquiétait de l’impact environnemental du projet et que les fonctionnaires étaient “équivoques”, Liz Truss insistait.
Elle a demandé aux fonctionnaires de “trouver un moyen d’y parvenir”, ajoute notre source.
Dix mois seulement après l’intervention de Truss, en avril 2021, le projet a été interrompu lorsque des militants ont déferlé sur la région, massacrant plus de 1 000 personnes.
Au cours de l’été qui a suivi, un commando mozambicain, dirigé par un officier qui a déclaré que sa mission était de protéger “le projet de Total”, a accusé les villageois en fuite d’être des insurgés islamiques et a séparé les hommes — un groupe de 180 à 250 personnes — des femmes et des enfants. Au moins une femme a été victime d’un viol collectif.
Les prisonniers ont ensuite été détenus dans des conteneurs d’expédition sur le site de TotalEnergies pendant trois mois. Ils ont été battus, affamés, torturés et tués. Seuls 26 d’entre eux ont survécu.
Mozambique LNG n’a “aucune connaissance des événements présumés décrits” ni “aucune information indiquant que de tels événements ont eu lieu”, a assuré Maxime Rabilloud, directeur général de Mozambique LNG, la filiale de TotalEnergies, suite aux révélations de POLITICO.
Il s’agit de “la dernière information sur des atrocités provenant d’une région où le projet contribue à alimenter une insurrection qui a tué des milliers de personnes et forcé des centaines de milliers d’autres à fuir leurs foyers”, souligne Tony Bosworth, chargé de campagne sur l’énergie chez Les Amis de la Terre. L’ONG a lancé en septembre 2020 un recours en justice contre le soutien du gouvernement britannique au projet, qui n’a pas abouti.
“Il ne fait aucun doute que le cabinet britannique [qui réunit les principaux ministres du gouvernement, NDLR] était conscient de la situation sécuritaire à Cabo Delgado à l’époque”, considère Wolf-Christian Paes de l’IISS. “Investir dans une zone de conflit armé actif est une proposition extrêmement risquée.”
Alors que Liz Truss envisageait de soutenir le projet au printemps 2020, il y a eu “un grand débat à l’époque” au sein du gouvernement sur la poursuite du financement de 1,15 milliard de dollars, retrace notre source qui travaillait auparavant au ministère du Commerce. Ces arguments auraient été centrés sur le changement climatique.
Le Royaume-Uni était sur le point d’accueillir la COP26 à Glasgow l’année suivante et le projet “est devenu une bataille totémique entre ceux qui, au sein du gouvernement, voulaient aller de l’avant et ceux qui ne voulaient pas”, poursuit notre source.
D’un côté, il y avait les ministres qui soutenaient que “le Royaume-Uni est un pays engagé dans la COP, dans la lutte contre le changement climatique, et il n’est donc pas approprié [que] l’argent des contribuables soit dépensé de cette manière”, relate notre source. “L’autre camp disait ‘non, non, [UK Export Finance, l’agence de crédit export] devrait pouvoir financer ce qu’elle veut […] beaucoup d’autres pays le font’.”
Liz Truss “tenait fortement à faire avancer ce projet”, continue notre source. A l’époque, la ministre du Commerce affirmait que le Royaume-Uni “manquerait des opportunités” s’il ne soutenait pas le projet, et que la Chine le ferait si la Grande-Bretagne ne le faisait pas. “Liz disait : ‘Non, non, on le fait.’”
Contactée, Liz Truss n’a pas souhaité commenter.
Le 10 juin 2020, Truss, avec l’approbation du chancelier de l’Echiquier (le ministre des Finances) de l’époque, Rishi Sunak, a signé le financement de 1,15 milliard de dollars pour le projet gazier de TotalEnergies.
L’aide, qui n’a pas encore été prélevée, serait accordée par UK Export Finance (UKEF), qui garantit les prêts accordés par les banques aux entreprises britanniques travaillant sur le projet et qui, dans certains cas, leur a également offert son propre financement direct.
La décision de Truss d’approuver le projet est intervenue après une avalanche de lettres d’opposition de la part de ses collègues du gouvernement, notamment les ministres les plus influents sur les questions d’affaires économiques et de développement international, selon des documents publiés dans le cadre d’un recours en justice.
Le ministre des Affaires étrangères, Dominic Raab, mettait en garde contre le “risque réputationnel” du projet pour la Grande-Bretagne, étant donné que le pays devait accueillir la COP26 l’année suivante et qu’il cherchait à encourager d’autres nations à se détourner des investissements dans les énergies fossiles.
Boris Johnson a été “contraint” d’approuver le projet, car il était trop avancé pour être annulé lorsqu’il en a été informé, a rapporté le Times. “Le Premier ministre était furieux et a immédiatement demandé une revue de la politique de l’UKEF sur les énergies fossiles”, a relaté une source citée par le journal. Boris Johnson n’a pas répondu à notre demande de commentaire.
Mais en décembre 2020, des mois après que Truss a approuvé le soutien du Royaume-Uni, Boris Johnson a mis fin au financement par le gouvernement de projets similaires d’exploitation d’énergies fossiles à l’étranger.
Des pourparlers sont en cours pour que la “force majeure” — une clause contractuelle qui supprime les obligations des parties en cas de catastrophe — soit levée sur le projet de TotalEnergies. La région est plus stable aujourd’hui qu’en 2021, indique Wolf-Christian Paes, depuis la campagne militaire menée sur le site par plusieurs pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) qui soutiennent le gouvernement du Mozambique.
Le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a indiqué qu’il souhaitait redémarrer le projet d’ici fin 2024.
“Nous sommes actuellement en pourparlers avec les promoteurs du projet et d’autres prêteurs concernant l’état d’avancement du projet de production de GNL au Mozambique et la possibilité de lever la situation de force majeure”, a déclaré un porte-parole d’UK Export Finance.
Les ONG continuent de faire pression pour que l’argent soit retiré.
“Ce projet est une bombe à retardement qui est associée à des massacres, des viols et des tortures”, insiste Tony Bosworth des Amis de la Terre. “Il est inadmissible que le gouvernement britannique ait quoi que ce soit à voir avec ce projet.”
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.